Publications/ Communications

lundi 19 mai 2014


Une source historique passionnante et utile: 

les cartes postales


Mes recherches couvrant la période du milieu du XIXe siècle à nos jours, j'utilise différents matériaux : bulletins d’associations, ouvrages d’époque, etc… La diversité des sources à disposition de l'historien  ne cesse de croitre d’où l’impérieuse nécessité de garder une attitude critique sur les sources à notre disposition.
  
Il est un matériau que j'affectionne particulièrement : les cartes postales. En effet, les cartes postales sont les témoins d'une époque qui nous racontent beaucoup de choses pourvu qu’on sache les lire sous tous les angles.
           
J'ai eu la chance de rencontrer Gabriel Gourin[1], ancien président de la Fédération Française de Philatélie et ancien vice-président de la Fédération Internationale de Philatélie. Cet érudit collectionneur a appris à l’historien non collectionneur que je suis à décrypter ces matériaux que sont les cartes postales. Les trois dernières années de sa vie, alors qu’il était immobilisé chez lui, nous avions tels des gamins, le jeu suivant. J’allais dans des brocantes, j’y achetais des lots de cartes postales à bas prix. Revenu chez moi, je frappais à la porte de mon voisin, Gabriel, ensemble nous faisions le tri de nos nouveaux trésors. On séparait les cartes postales avec des animaux des autres et le maître commençait sa conférence. Pour exemple, un jour Gabriel me montre une carte de la ville de Lisieux et me demande si je vois une particularité. Sans réponse de ma part, il m’explique : « regarde bien, cette carte est intéressante car elle la période où des travaux ont été réalisées à la cathédrales. Ici on voit le panneau indiquant les travaux. Les collectionneurs recherchent ce genre de cartes ». Une fois le tri réalisé chacun de nous gardait les cartes qui l’intéressaient. Les autres cartes, j’allais les revendre dans des brocantes pour en racheter d’autres. Et celle de Lisieux fut ainsi vendue à un collectionneur à un prix intéressant.

Au-delà de l’anecdote, Gabriel m'a appris à lire toutes les informations nécessaires et à voir ce qu'ordinairement nous ne voyons pas.

Un exemple : quelques cartes postales de l'hôtel de ville de Paris

Ces cartes trouvées avec Gabriel n’ont rien d'original en apparence. Nous voyons l'ancienne place de l'hôtel de ville  telle qu'elle était dans les années 1950[2].
Les voitures de types Citroën traction avant et Renault 4 CV datent approximativement la photo aux alentours de cette période et le cachet de la poste est daté du 30 mars 1950.

Une observation plus approfondie (en zoomant la carte postale), dans la partie basse à droite, nous montre une centaine de personnes entourant la partie gazonnée de la place, ils portent leur attention a priori sur des pigeons au nombre d'environ 200. Les citadins et les oiseaux cohabitent visiblement très bien. Nous voyons aussi bien des hommes que des femmes et aussi des enfants.
Il s’agit visiblement d’un moment de promenade où l’on donne à manger aux pigeons de façon assumée devant un public attentif et visiblement pas hostile, comme on le fait le dimanche après-midi.
Une autre carte postale d’un autre éditeur[3] nous montre la même vue, à priori dans les années quarante, visiblement en période d’activité avec des passants et des véhicules. Sur le même terre-plein gazonné, une centaine de pigeons est paisiblement installé au sol.
La présence des pigeons semble donc être récurrente à cet endroit de la capitale et ce quel que soit le jour. La photo réalisée par le photographe Jacques Boyer, en 1955, au même endroit atteste que ce terre-plein est bien une aire de jeu avec les pigeons pour les citadins.
Pigeons. Place de l'Hôtel de Ville, Paris (IVème arr.), 1955.Jacques Boyer / Roger-Viollet

Ces images, en anodines, nous fournissent plusieurs informations sur la relation entre les hommes et les pigeons à l’époque:

  •      la relation est apaisée et sereine entre le citadin et l'animal qui visiblement n'est pas considéré alors comme nuisible
  •      donner à manger aux oiseaux est un acte non seulement toléré, mais aussi une action réalisée ouvertement en public, voir en famille.
  •         cette image serait impossible aujourd'hui. En effet, on ne peut imaginer une centaine de personnes entourant pacifiquement un nombre important de pigeons avec des personnes les nourrissant.
Comme nous l’avons montré dans un article[4] de la revue du droit animalier, à cette époque, le statut du pigeon devient ambivalent : vénéré comme héros national, d’un côté, servant de cible dans les concours de tir, de l’autre. Dans son mémoire sur les représentations des pigeons dans la presse, Eve Givois[5] met en lumière qu’à cette époque le pigeon commence à être mal perçu en raison de ses fientes qui dégradent les bâtiments.

La consultation des écrits de la préfecture de police au long des années 50/60 met en évidence la lente construction idéologique qui aboutira à des actions d’élimination de cet être vivant devenant alors un nuisible aux yeux d’une partie de l’opinion. Et ainsi la publication, en 1951, d’un article du professeur Lépine[6] dans lequel il affirme que 70 % des pigeons parisiens sont porteurs de l'ornithose va permettre aux autorités d’interdire, dans un premier temps, le nourrissage des pigeons au début des années soixante et ensuite  de réaliser des captures à but d’euthanasie.

Il est alors intéressant de savoir si ces interdictions de nourrissage ont eu une influence et une réelle efficacité sur le comportement des citadins à l’encontre des pigeons. Et surtout, si le nombre de pigeons va diminuer au pied même de l’autorité municipale et préfectorale qu’est l’hôtel de ville de Paris.

Une autre carte postale[7] (ci-dessous) donne une partie de la réponse.
La photo est prise sur la place même. L’objectif du photographe n’est plus tourné vers l’hôtel de ville, mais vers le Bazar de l’hôtel de ville. La voiture au premier plan, une Dauphine Renault, nous renseigne sur la période, autour des années soixante.
Le zoom permet de voir un nombre important de pigeons toujours au sol en bas de la carte postale et au loin un homme leur donnant à manger. Tout cela se fait en plein jour en présence d’autres personnes, sans que le nourrisseur semble gêné ou risquant d’être sanctionné.


Les années passent...


 
                Photo Adrien Moret 2009


et les pigeons demeurent !

La différence entre aujourd’hui et le milieu du siècle dernier ne tient donc pas à la présence continue ou non de l’animal, mais au changement de représentation.

Il n’est plus envisageable, de nos jours, de faire une photo rassemblant un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants se divertissant.autour d’un groupe de pigeons. Aujourd’hui, les photos évoquent des nuisances, des questions sanitaires et de fait une marginalité.

L’intérêt d’une lecture détaillée de ces anciennes cartes postales réside peut-être de nous rappeler que notre ami d’hier, le pigeon, est devenu pour certains d’entre nous un nuisible que l’on ne veut plus voir dans la ville.


Chers lecteurs, vous aurez compris que si je ne suis pas collectionneur, j’aime ces matériaux que sont les cartes postales et plus largement les photos. Alors n’hésitez pas à correspondre avec moi pour que nous puissions échanger nos différents trésors.



[1] Gabriel Gourin était né le 26 octobre 1921, il est décédé le 8 octobre 2007. Il fut  Président de la F.F.A.P. de 1978 à 1992, il fut aussi membre du bureau de la F.I.P.Grand spécialiste du type Blanc il était membre de l'Académie de Philatélie et de l'Union Marcophile.  Il fut juré international (traditionnel, histoire postale, jeunesse) et juré national (traditionnel, histoire postale, jeunesse, thématique, littérature). Il fut un des co-fondateurs de l'ADP.
Ancien haut-fonctionnaire au Ministère de l'Economie et des Finances il était chevalier de la Légion d'Honneur et chevalier de l'Ordre National du Mérite.
[2] La carte a été réalisée par les éditions Chantal, située 74 rue des Archives à  Paris. Elle porte le numéro de référencement 751 Le tirage est en noir et blanc. Collection personnelle.
[3] Editions CAP, Compagnie Alsacienne des Arts Photomécaniques, éditeur à Strasbourg (Bas-Rhin). Elle porte le numéro de référencement 965. Le tirage est en noir et blanc. Site www.delcampe.net. Date de consultation du site le 22/04/2014.
[4] Grandeur et déclin d'un héros ou l'histoire d'un déclassement : le pigeon des villes, Didier LAPOSTRE, président d’AERHO, Association Espaces de Rencontres entre les Hommes et les Oiseaux et Catherine DEHAY, présidente d’ACR, Association Chats des Rues. Revue Semestrielle de Droit Animalier, 1. 2012, Faculté de droit et des sciences économiques de Limoges.
[5] E. Givois, « Les pigeons dans Le Figaro de 1861 à 1942 », « Histoire et médias », mémoire Master, 2009.
[6] P. Lépine, « Sur L’infection des pigeons parisiens par le virus de l’ornithose », avec V. Sauter, Bulletin de l’académie de médecine, 1951.
[7] Editions inconnue, sans numéro de référencement. Le tirage est en noir et blanc. Site www.delcampe.net. Date de consultation du site le 22/04/2014.

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