Grandeur et déclin d'un héros
ou l'histoire d'un déclassement :
le pigeon des villes
Article paru dans la Revue Semestrielle de Droit Animalier de l'Université de Limoges RSDA
Didier
LAPOSTRE, président d’AERHO, Association Espaces de Rencontres
entre les Hommes et les Oiseaux
Catherine
DEHAY, présidente d’ACR, Association Chats des Rues
En
traitant, dans cet article, des pigeons bisets des villes, nous sommes bien
conscients de parler d’animaux au statut particulier, considérés comme
nuisibles dans certaines conditions et objet de tensions entre les habitants
des villes. Notre réflexion s'appuiera moins sur l'aspect juridique que sur les
représentations du pigeon et leurs évolutions.
Avant
de proposer notre réflexion aux lecteurs, présentons les motifs qui nous
animent. Les associations que nous présidons ont toutes deux pour objet la
place de l’animal dans la ville ; aussi
travaillent-elles à mettre en œuvre un partage
harmonieux de l’espace urbain entre les hommes et les animaux. Notre démarche
s’appuie sur diverses analyses de sociologues et d’anthropologues relatives à
la place de l’animal dans les politiques urbaines. Ainsi, comme l'écrit
justement Nathalie Blanc pour qui
« la prise en considération de l’animal et la valorisation de son statut
constituent des phénomènes radicalement nouveaux. Si le végétal est depuis
longtemps considéré comme un facteur et un instrument de l’amélioration des
conditions de vie en ville, l’animal était rejeté du côté des forces
destructrices et dangereuses. […] Le végétal pare et embaume la ville, l’animal
la dépare et l’empuantit […]. Mais l’animal n’est pas considéré comme un
élément structurant de l’espace urbain, à la différence du végétal, dont
l’implantation s’inscrit à la fois dans un ordre esthétique et dans une visée
hygiéniste. La végétation est censée avoir un rôle prophylactique, rendre
respirable l’air corrompu ; l’air qui circule dans les espaces libres non
bâtis chasseraient les miasmes urbains. »[1]. Il y
aurait donc, d’un côté, des politiques urbaines qui recherchent le bien-être
commun, en s’appuyant, entre autres, sur le développement du végétal et sur la
réduction de la présence de l’animal, et, de l’autre, comme en opposition à ce
mouvement, des citadins qui éprouvent un réel engouement pour les animaux en
général. De réelles tensions pourraient alors apparaître au sein de la cité au
sujet de la présence de déjections canines ou d'éventuelles surpopulations de
pigeons. Et pourtant, nombreux sont les analystes qui s’accordent à faire des
animaux un élément facilitateur des relations sociales, à l'image des enfants.
Cependant, tout comme les enfants, il s’agit d’un élément à la fois
facilitateur et perturbateur.
Chacune
de nos associations se centre sur un type ou une espèce animale : pour
ACR, le chat et pour AERHO, le pigeon biset. A partir de ces deux modèles, nous
proposons la mise en place de bonnes pratiques à leur égard, avec des outils de
gestion permettant leur intégration dans la ville. Des actions de médiation
permettent de renouer le dialogue entre nourriciers et plaignants en prenant en
compte les préoccupations de chacun. Nous passons ainsi des conventions avec
des villes qui nous missionnent pour trouver des solutions éthiques au partage
de l’espace au sein de la cité et respectueuses des humains et des animaux.
Dans
cet article, nous avons choisi d'étudier le pigeon biset, plus communément
nommé « pigeon des villes ». Néanmoins, afin d’étayer notre propos,
nous renverrons parfois au cas spécifique du chat des rues, dit « chat
libre ». En effet, quelles que soient les différences de représentations,
ces deux espèces suscitent le même type de controverses, de tensions, et
présentent une évolution des représentations assez semblable.
I. De « l'utile » au « nuisible »
Comme
de nombreux articles l’ont montré, le pigeon a été considéré comme utile en
France et dans le monde pour quatre raisons : sa chair, qui est agréable
et peu coûteuse ; sa fiente, qui peut servir d’engrais ; son rôle de
messager ; son rôle d’animal d’agrément en raison d’une domestication
aisée qui permet la création de nouvelles races. Dès la fin du XIXème
siècle, les deux premières raisons ne sont plus d’actualité. En effet, la
consommation de sa chair demeure marginale au regard de celle du poulet et sa
fiente est remplacée par les engrais chimiques. De plus, l'utilisation des
pigeons par l'homme va évoluer tant sur le plan géographique que social. Si
jusqu’au milieu du XIXème siècle les pigeonniers sont pour la
plupart installés en zone rurale, ils se voient quelque cinquante ans plus tard
largement déplacés dans les villes, au sein des pigeonniers militaires et auprès
des colombophiles. En cela, le pigeon suit l'homme dans son urbanisation. Avec
la première guerre mondiale, le pigeon est auréolé du titre de héros. Mais il
est aussi utilisé pour les concours de tir aux pigeons. Ce sport nécessite un
nombre particulièrement important de pigeons. Ainsi, lors de chaque concours,
ce sont des milliers de pigeons qui sont lâchés et tués. Le statut du pigeon
devient ambivalent : vénéré comme héros national, d’un côté, servant de
cible dans les concours de tir, de l’autre. Au cours des années 1930, la
présence du pigeon en ville est encouragée et facilitée : grands lâchés de
pigeons organisés par les autorités aussi bien dans le cadre de concours
colombophiles que de grandes manifestations et autres commémorations. Dans son
mémoire sur les représentations des pigeons dans la presse, Eve Givois[2].met en lumière qu’à cette époque le pigeon
est mal perçu en raison de ses fientes qui dégradent les bâtiments. Au sortir
de la seconde guerre mondiale, durant la période de reconstruction, le pigeon
apparaît peu dans les villes[3]. En
effet, il semble qu'il ait été consommé par les citadins durant la guerre,
qu'il ait occupé un habitat délaissé par l’humain (tels les vieux bâtiments ou
greniers) et qu’il se soit éparpillé dans les villes.
La
consultation des écrits de la préfecture de police au long des années 50/60 met
en évidence la lente construction idéologique qui aboutit à l’éradication de
cet être vivant devenu nuisible. Au début des années 1950, le nombre de pigeons
à Paris serait passé, en cinq ans, de 15 000 à 70 000 individus. En
1951, le professeur Lépine[4]
publie un article dans lequel il affirme que 70 % des pigeons parisiens sont
porteurs de l'ornithose. Cette étude ne constitue pas en soi une révolution
scientifique. La communauté scientifique n’est pas sans savoir que des animaux
peuvent être porteurs sains d’une maladie et, qu’à certains moments et dans
certains contextes, une transmission à l’homme de cette maladie est observée. Mais
les cas déclarés d’ornithose dans les hôpitaux sont extrêmement rares
puisqu'ils s’élèvent à moins d’une dizaine par an sur l’ensemble de la France.
De plus, il n'est pas toujours avéré que ces malades aient été en contact avec
des pigeons parisiens.
Dans
les années qui suivent, l’étude du professeur Lépine connaît un grand succès
médiatique. Celle-ci est en quelque sorte l'aboutissement d'une évolution des
relations entre le citadin et le pigeon ou, du moins, entre les autorités
politiques et administratives et ces animaux. Ainsi, pour la première fois dans
les comptes-rendus du conseil municipal de la ville de Paris, mais aussi dans
la presse, le pigeon biset est décrit pour les seules nuisances qu'il
occasionnerait et non plus comme l'auxiliaire fidèle de l'homme. C'est en
termes très réducteurs que les médias et les autorités présentent ces oiseaux :
« Les pigeons de Paris sont infectés par une maladie transmissible à
l’homme au niveau pulmonaire ». De nombreux articles de presse dénoncent
alors la présence et la prolifération de pigeons. « Paris est envahi, on
parle de 100 000 à 400 000 pigeons, voire un million »[5].
C’est l’emballement ! Les médias et les politiques reprennent ces chiffres
alors qu’aucun comptage n’a jamais eu lieu sur Paris ! Mais dans une
période de lutte contre la tuberculose, l’émotion populaire est évidente. Au
nom du principe de sécurité sanitaire, les autorités doivent donc intervenir,
en tenant compte de la relation particulière de cet animal à l'homme : le lien
ténu pour les uns, le mépris pour les autres. Ainsi, tout en mettant en garde
contre la présence massive de pigeons, jusqu'au milieu des années 60, les
autorités tolèrent le nourrissage des animaux dans les rues. Le préfet de
police de la Seine écrit au président de la Société Protectrice des Animaux
(SPA) en 1963 : « Jamais il n'a été dans mon esprit d'exterminer
ces oiseaux […] l'interdiction de nourrissage ne sera mise en application que
lorsque les pigeonniers auront été construits ». Cela permet à la SPA de
rendre public un communiqué de presse et de diffuser un tract dont le titre
est : « Vous pouvez donner à manger aux pigeons ».
Pourtant,
en raison de la pression immobilière qui s’exerce sur les lieux où s’abritent
les pigeons, ces oiseaux sont délogés et obligés de se regrouper à d’autres
endroits, où leur nombre croît de fait. Afin de réduire leur présence, à Paris
et sous l’égide du tristement célèbre préfet Papon, une commission spécialisée
de la préfecture impulse « la politique de dépaysement » des pigeons.
Cette méthode consiste officiellement à capturer les pigeons, à les entreposer
dans une volière au sud de Paris et à trier les animaux sains de ceux qui
seraient malades. Les uns seront envoyés en province dans des villes prêtes à
les accueillir tandis que les autres seconds seront euthanasiés. Dans un
premier temps, les associations de protection animale soutiennent l’initiative
de la préfecture de police. Mais, rapidement, le doute s’installe : où
vont les animaux ? Que deviennent-ils ? Ne seraient-ils pas tous
euthanasiés ? Pire, ne serviraient-ils pas de cible dans les tirs aux
pigeons ? Face à ces oppositions et interrogations les autorités ne
parlent plus de politique de dépaysement des pigeons et, vers la fin des années
60, les captures à but d'euthanasie se développent et sont officiellement
assumées par les autorités préfectorale et municipales de Paris. De nombreuses
villes de province vont aussi s'inscrire dans cette nouvelle orientation. Seule
consolation pour les associations de protections animales : un certain
nombre de villes, comme Paris, vont, dans les années 1970, marier l'eau et le
feu : distribution de graines contraceptives à certains endroits et pour
certains nourriciers, et, dans le même temps, sur d'autres sites, captures à
but d'euthanasie.
La
présentation, en quelques lignes, de plusieurs années de construction d’une
politique éradicatrice peut sembler schématique ou réductrice. Néanmoins,
l’évolution de la perception des autorités sur le sujet apparaît
clairement :
- Années 1950 :
les nuisances sont énoncées ;
- Fin des années 50 :
les risques sanitaires sont exagérément mis en avant ;
- Années 60 : le
dépaysement est officiellement organisé ;
- Fin des années
60 : les captures à but d’euthanasie sont clairement assumées.
C’est
dans le cadre de cette lente évolution des représentations que le pigeon est
devenu un animal nuisible pour les autorités politiques et administratives,
ainsi qu’au niveau d’une partie de l’opinion publique.
II. La réglementation en vigueur :
toujours la destruction
Qui
aurait pensé dans les années 1870 qu’un siècle plus tard, le pigeon, ce héros
de la patrie, serait, selon les situations, soit protégé s’il appartient à un
colombophile, soit vilipendé et affublé de tares telles que « transmetteur
de maladie à l’homme » et « destructeur de monuments » s’il se
trouve à « errer » dans la ville ? De manière identique, si nous
avions pris le cas du chat libre, nous aurions pu voir que son statut peut lui
aussi varier selon les situations. Par exemple, ce chat né de bonne famille,
vivant auprès de ses maîtres, est considéré comme chat de compagnie. Les
hasards ou autres accidents de la vie vont transformer son statut. S’il se perd
ou est abandonné, il devient alors un chat errant. S’il est identifié, son
propriétaire peut le retrouver par le biais de la fourrière ou grâce à une âme
charitable. S’il n’est pas identifié, il devient alors « sauvage » et
susceptible d’être « agressif » envers l’homme et
donc représenter un danger. La loi prévoit qu’il est de la responsabilité du
maire d’empêcher la divagation des animaux et de capturer ceux-ci et de les
emmener en fourrière. A l’issue du temps de fourrière, ces chats sont soit
confiés à une association de protection animale en vue de leur adoption, soit euthanasiés. Les chats libres étant
souvent peu sociables, ils ne peuvent, le plus souvent, être mis à l’adoption.
Néanmoins, grâce à la pression des associations de protection, depuis 1999, le
législateur permet que des regroupements de chats puissent vivre en liberté
s’ils sont stérilisés et sous le contrôle d’une association[6].
Les
mots employés pour capturer ces animaux expriment une forte violence — « dépigeonnisation »
et « déchatisation » — et indiquent toutes les craintes qu'ils
inspirent à l'homme. Ainsi, ces deux espèces représenteraient de multiples
dangers pour l’homme dans « la jungle » qu’est la ville. On les retrouve
côte à côte dans l’article 120 du règlement sanitaire préfectoral[7],
élaboré dans les années 70, qui précise:
« Il est interdit de jeter ou de déposer des
graines ou nourriture, en tous lieux ou établissements publics, susceptibles
d'attirer les animaux errants, sauvages ou redevenus tels, notamment les chats
ou les pigeons ; la même interdiction est applicable aux voies privées, cours
ou autres parties d'un immeuble ou d'un établissement lorsque cette pratique
risque de constituer une gêne pour le voisinage ou d'attirer les rongeurs.
Toutes mesures doivent être prises pour empêcher que
la pullulation de ces animaux soit une cause de nuisance et un risque de
contamination de l'homme par une maladie transmissible ainsi que de propagation
d'épidémie chez les animaux ».
Cet
article 120 « type » est ensuite décliné dans chaque département qui
peut en développer le contenu. Pour exemple, une communauté d'agglomération en
région parisienne[8] précise ainsi cet
article :
« Protection contre les animaux errants,
sauvages, ou redevenus tels.
Il est interdit de jeter ou de déposer en tous lieux
et établissements publics, jardins, parcs, bois, promenades, cimetières, etc.,
des graines ou toute nourriture susceptible d’y attirer les animaux errants,
sauvages ou redevenus tels, notamment les chats et les pigeons.
La même interdiction est applicable aux voies privées,
cours ou autres parties d’un immeuble ou d’un établissement lorsque cette
pratique risque de constituer une gêne pour le voisinage, d’attirer les
rongeurs, ou de compromettre les
parterres et plantations.
Les
propriétaires d’immeuble et de tous les établissements publics ou privés ou
leurs représentants doivent faire obturer ou grillager toutes les ouvertures
susceptibles de donner accès aux rongeurs, aux chats et aux pigeons et de
permettre la nidification de ces derniers.
Ces
dispositifs sont tenus constamment en bon état d’entretien.
Toutes mesures doivent être prises pour empêcher que
la pullulation de ces animaux soit susceptible de causer une nuisance ou un
risque de transmission de maladies à l’homme ou à l’animal.
Les
propriétaires d’immeubles et de tous établissements publics ou privés ou leurs
représentants doivent faire procéder à la capture des pigeons et des chats
errants en vue de les transférer dans les lieux autorisés ou de les détruire
selon la réglementation en vigueur, sans que l’ordre public ne soit troublé et
qu’aucun dommage ne soit causé à un tiers […][9]. ».
La
lecture complète de cet article, en vigueur depuis seulement quarante ans, met
clairement en évidence les peurs d’une société à l'encontre de ces animaux.
S'appuyant sur ce texte, un grand nombre de villes ont donc tué sciemment et à
outrance ces animaux partout où les autorités municipales sont en droit d’agir.
Les exemples sont légion de villes qui, durant des années, ont fait capturer et
euthanasier plus d’un millier de pigeons par an sans que s’ensuive la moindre
décroissance du nombre de pigeons. Le nombre de nuisances comme celui des
plaintes sont toujours restées constants. La récurrence des captures, pour un
même nombre de pigeons, aux mêmes endroits, plusieurs fois par an, démontre
l’inefficacité de la méthode. Un véritable marché s’est constitué autour de la
destruction des pigeons. Les entreprises chargées de ces destructions d'animaux
représentent des milliers de salariés au sein de multinationales ou de sociétés
familiales et constituent un véritable lobby communément appelé « les
entreprises 3 D », pour Dératisation, Désinsectisation, Désinfection… et à
l'occasion, Dépigeonnisation ou Déchatisation. Les captures de pigeons génèrent une rente pour ces entreprises qui
interviennent régulièrement aux mêmes endroits pour un même nombre de pigeons à
tuer. Les coûts financiers élevés pour la collectivité et, surtout,
l’opposition de plus en plus vive de nombreux habitants choqués par la violence
de ces captures, poussent les élus et les techniciens à trouver d’autres
solutions.
De
plus, une telle vision se trouve invalidée par ces mouvements complexes que
sont les dynamiques de population des espèces. Force est de constater que
toutes ces villes se retrouvent aujourd'hui dans une impasse. Ces trente années
de tentative d'éradication systématique, ont au moins permis de démontrer
qu’une telle gestion des animaux dans la ville ne résout en aucune manière les
problèmes rencontrés.
III. Le pigeon des villes : un animal
nuisible, pour qui ?
Dans
ce chapitre, nous présentons les positions des divers acteurs concernés par la
présence des pigeons : aussi bien celles des élus que des techniciens des
villes, celles du législateur, des sociétés de dépigeonnisation, des
scientifiques, des associations de protection animale et des citoyens.
Les
pigeons bisets sont souvent identifiés à des animaux nuisibles par les élus et
les services municipaux notamment. Par exemple, sur la page internet d’une
ville de province[10], la
rubrique « animaux nuisibles » comportent les pigeons, les rats, les
termites, les cafards. Sans vouloir stigmatiser telle ou telle ville, il est
intéressant de noter comment une ville peut mettre sur le même plan le
caractère nuisible des animaux, en confondant critères de santé publique et de
propreté[11]. Si chacun peut
comprendre la nécessité de mener des actions de protection de l’homme face au
développement de ces espèces, comment peut-on mettre sur le même plan les
nuisances occasionnées par les pigeons et ces insectes ? Concernant les
pigeons, notons en effet :
- Absence d’épidémie
(quelques cas, certes, mais non mortels et en moins grand nombre que la
toxoplasmose, par exemple) ;
- Des bâtiments salis
par les fientes, mais pas de dommages importants. L’acidité des fientes de
pigeons est forte, mais nos cathédrales abritent les pigeons depuis plus
de mille ans sans que la pierre soit attaquée comme elle l’est depuis ces
dernières années (d’autres molécules doivent agir…). Bref, nous sommes
loin des difficultés rencontrées avec les termites.
Le
caractère nuisible du pigeon n’est jamais démontré ; tout au plus est-il affirmé
de façon péremptoire, et sans autre référence que l’étude des années 50, qu'il
transmet des maladies à l'homme.
Voyons
maintenant comment le pigeon des villes est considéré par le législateur. En 2005, une députée s’adresse au ministre de l’Ecologie[12] afin
« d’introduire les pigeons des villes sur la liste des animaux
nuisibles ». La réponse du ministère est sans équivoque : « Le
préfet détermine si une espèce doit être classée nuisible, généralement pour
prévenir des dommages importants aux activités agricoles […]. Le pigeon biset
[…] n’est pas à l’origine de dégâts significatifs aux cultures et son
inscription sur la liste des animaux nuisibles n’est pas justifiée […]. Le
contrôle ou la prohibition de certains moyens de capture qui caractérise la police
de la classe ne s’applique pas en ville où les pigeons peuvent être cependant à
l’origine de nuisances diverses ». Le ministère préconise donc
l’application du règlement sanitaire départemental type qui « interdit la
distribution de nourriture aux pigeons » et d’autres moyens qui
« consistent à l’élimination des oiseaux […] dès lors qu’ils ne
constituent pas de mauvais traitements à animaux ». Il est intéressant de
noter que cette réponse du ministère de l’Ecologie est un copié/collé de la
réponse faite par le ministère de l’Agriculture en 1998 à une question d’un
sénateur sur le même sujet[13]. Le
pigeon biset n’est donc pas un oiseau classé nuisible au sens de la définition
réglementaire, prévue à l’article L 427-7 du code de l’Environnement. Il n'est
pas inscrit sur la liste nationale des animaux nuisibles pour toute la France[14].
Du
côté des scientifiques, la question du pigeon des villes intéresse peu les
chercheurs. En effet, cet animal est considéré comme hybride, car issu de la
domestication et retourné à l'état sauvage. De ce fait, souvent, il n'est pas assimilé
à la nature et donc peu digne d'intérêt pour les scientifiques.
Il
faut attendre la fin des années 1980 pour qu'un chercheur tente une régulation
éthique des pigeons dans une ville. Sous
la direction de Daniel Haag-Wackernagel[15],
membre du département de la santé publique de l’université de Bâle, et en
partenariat avec la SPA de Bâle, un projet « Action pigeons » est mis
en place. Le but de l’action est de mettre au point une méthode de régulation
des effectifs de pigeons durable et conforme aux principes de la protection des
animaux. L’idée maîtresse tient dans la construction de colombiers contrôlés.
Un garde est chargé de l’entretien des pigeonniers, de leur nettoyage régulier,
du contrôle des animaux, et, si nécessaire, du remplacement des œufs par des
œufs factices. En même temps, la population a été avisée que le nourrissage des
pigeons fait plus de mal que de bien aux pigeons, le slogan étant :
« Protéger les pigeons, c’est ne pas les nourrir»[16].
Dans un premier temps les résultats ont été jugés encourageants mais, au bout
de plusieurs années de l’avis même du chercheur, les pratiques de nourrissage
avaient repris de façon importante.
En
France, depuis 2005, un projet de recherche intitulé « Le pigeon en ville,
écologie de la réconciliation et gestion de la nature », regroupe
différentes disciplines et acteurs associatifs[17].
Parallèlement, des chercheurs, comme Philippe Clergeau et Nathalie Blanc,
travaillent plus largement sur la présence de la faune et de la flore en ville[18].
Certains chercheurs mettent en avant une nouvelle classification tripartite :
les espèces nuisibles, indésirables et invasives. Comme le précise Philippe
Clergeau : « Une espèce indésirable correspond à une notion de perception
et de jugement des gens. Une espèce est indésirable du fait que notre culture
ne l’apprécie pas, car elle cause des dommages qui sont perçus comme importants
par les gens »[19]. Le
pigeon ferait ainsi partie de cette catégorie des indésirables. A la différence
des « nuisibles », auxquels correspond un statut juridique, les
« indésirables » répondent à une définition sociologique. En cela,
cette proposition est séduisante. Pour autant, comme toutes les tentatives de
classification, celle-ci se heurte à la réalité du terrain. En effet, si le
pigeon est considéré comme indésirable à cause des nuisances générées par ses
fientes, que dire du chien dont les crottes
causent aussi de nombreuses nuisances ? Est-il cependant considéré
comme un animal indésirable ? Par ailleurs, le pigeon est-il indésirable
aux yeux de l'ensemble des citoyens de la ville, d’une simple minorité d’entre
eux ou bien des seuls services municipaux ?
Dans
les études que nous avons réalisées à la demande des villes[20],
nous nous sommes penchés sur le seuil d’acceptabilité des habitants de la ville
étudiée concernant la présence des pigeons. Nos résultats ne sont pas issus
d’un sondage précis, mais ont été obtenus à partir de questions portant sur les
personnes se plaignant des nuisances dues à la présence de pigeons ; les riverains
concernés ou pas par les nuisances ; les nourriciers de ces oiseaux. Or,
si une minorité très réduite dénonce le pigeon en tant que tel comme
responsable de nuisances et de dangers[21], la
grande majorité des habitants estiment que les pigeons « ont aussi le
droit de vivre », « qu’ils ont toujours habité avec nous ». Pour
autant, si les habitants ne veulent pas de mal aux pigeons, ils ne veulent pas
subir leurs salissures.
Dans
de nombreux cas, nous assistons, d'un côté, à une dramatisation de la présence
des pigeons et, de l'autre, à une incapacité à régler de manière pérenne de
réelles gênes pour les habitants. Le pigeon biset représente-t-il au moins un
danger sanitaire pour l'être humain ? De récentes études montrent que si
un nombre important de pigeons est positif à l'ornithose, seule une minorité
excrète cet agent pathogène dans les fientes. De plus, les souches identifiées
sont peu virulentes. Ces informations permettent aujourd'hui d'affirmer « que
les risques sanitaires liés aux pigeons sont extrêmement faibles »[22].
Voyons
maintenant quelle est la position des associations de protection animale
vis-à-vis du pigeon des villes. Officiellement, l'ensemble des associations
refusent les captures à but d'euthanasie et préconise l'installation de
pigeonniers ainsi que la distribution de graines stérilisantes. L'objectif
serait donc de regrouper les colonies de pigeons autour des pigeonniers afin de
réduire le nombre d'oiseaux grâce à leur contraception. Dans les faits, très
peu d'associations sont investies sur le terrain dans la défense des pigeons.
Seule la SPOV, Société Protectrice des Oiseaux des Villes, créée dans les
années 90, a une activité à la fois de refuge et de référent, essentiellement
en Ile-de-France. Aucune autre association de dimension nationale n'est
investie dans le champ de la protection des pigeons. La protection des pigeons
est donc réalisée sur le terrain par des nourriciers[23], de
manière individuelle et sans coordination ni cohérence programmatique. Chacun
fait ce qu'il peut en fonction des moyens qu'il a : distribution de graines ou
de pain, distribution à plusieurs endroits à des petits groupes de pigeons ou
concentrations de pigeons à un endroit, etc. En cela, la protection de ces
animaux peut paraître particulièrement fragile, symbolisée par une petite dame
âgée distribuant de la nourriture aux pigeons. Cependant, nos observations de
terrain montrent une situation plus complexe. En effet, si le nourrissage
compassionnel lié à un attachement particulier aux pigeons existe, il n'est pas
pour autant le seul type de nourrissage identifié. Daniel Haag-Wackemagel a mis
en avant un nourrissage « actif par le plaisir et pour des raisons
religieuses ». Dans la culture et dans la religion musulmanes[24], une
place importante est donnée au pigeon, qui aurait sauvé le prophète des païens.
Nous retrouvons ce même rapport privilégié dans la religion bouddhiste. Des
démarches auprès des membres de ces communautés font apparaître que ce
nourrissage correspond à la fois à une offrande ritualisée et à une éducation civique et familiale : respecter un être
errant et lui offrir de la nourriture. Il ressort que, pour une partie de la
population au moins, cet animal non seulement n'est pas nuisible mais doit
continuer de pouvoir vivre à nos côtés.
Au
sein de la cité, il est toujours fait état des plaintes d'habitants subissant
des nuisances liées à la présence de pigeons. Par contre, les actions
quotidiennes en faveur de ces animaux ne sont énoncées que pour rappeler ce
fameux article 120 interdisant toute distribution de nourriture. On observe
donc un écart important entre d'un côté les textes réglementaires, les
préoccupations des élus, les demandes d'une minorité de la population, et,
d'autre part, l'action quotidienne de différentes personnes en faveur de ces
animaux[25].
Comme le précise Vanessa Manceron : « Au cœur de ces conflits se jouent tout
d’abord des questions de catégorisation et de définition. Il n’est plus
d’animaux que l’on pourrait classer une bonne fois pour toutes dans la
catégorie des nuisibles, du gibier ou du grand prédateur, sans que ces
définitions ne donnent lieu à des débats contradictoires, ici ou ailleurs.
L’émergence de définitions contre-intuitives comme celle de “nuisible utile“ ou
celle de “prédateur protégé“ résulte de ce processus qui peut conduire à
l’hybridation de catégories historiquement exclusives les unes envers les
autres. Certains animaux acquièrent ainsi une double identité […] »[26].
Jugé nuisible par certains et comme devant être protégé par d’autres, le pigeon
sert de révélateur des rapports conflictuels entre les différents acteurs de la
ville.
Emettons
ici une hypothèse : le pigeon ne représente-t-il pas pour ses détracteurs
tout ce que l’urbain craint de la nature ? Le chien ou le chat de
compagnie sont vaccinés et sous notre contrôle. Cette nature domestiquée nous
rassure. Le pigeon, quant à lui, autrefois domestiqué mais retourné à l’état
semi-sauvage, nous ramène à l’inconnu, à la peur de l’autre, à l’envahissement.
D’autant que, contrairement à d’autres espèces d’oiseaux fréquentant la ville,
les pigeons se concentrent en groupes plus ou moins importants, provoquant
parfois un sentiment d’envahissement. Plus encore, il est un des seuls oiseaux
à occuper le même espace urbain que l’homme. Habitué à l’être humain, il ne
respecte pas les distances avec lui.
Notre
expérience de terrain nous apprend que la situation s'inscrit aujourd'hui dans
une réalité contrastée et paradoxale.
D'un côté, de nombreuses villes poursuivent les captures à but d’euthanasie,
tout en sachant qu'elles ne servent à rien, de l’autre, certaines villes,
faisant le constat d’échec de cette méthode, sont à la recherche d'autres
outils de régulation. Ainsi, à la demande de l'Association des maires des grandes
villes de France, une étude réalisée sur différentes espèces oiseaux montre que
les captures ont « une efficience limitée »[27]. Ou
encore, sous l'égide du Conseil régional d’Ile de France, un colloque dont objectif
affiché était le développement d'une écologie de la réconciliation concernant
la gestion de la nature en ville, a été organisé le 8 novembre 2011[28]. A
l'opposé des méthodes destructrices, la mise en place d'outils de gestion
éthique envers les animaux de la ville nécessite un changement radical de nos
comportements. Il va falloir agir et réagir autrement, consommer et travailler
différemment. Le choix politique consistant à utiliser des méthodes
alternatives à celles qui sont actuellement en vigueur encouragera le
développement de nouveaux métiers permettant de faire rimer écologie et éthique avec économie.
IV. Sortir de l'impasse : de l'animal
nuisible à l'animal accepté
Nous
voyons bien que la question de l’animal dans la ville touche tout autant la
relation du citadin à la nature que la relation
entre les citadins. Plusieurs séminaires, tel que le Symposium du Grand Lyon en
2009, traitent du « Vivre ensemble dans les villes : problèmes
nouveaux, solutions inédites » avec comme thématique des débats
« Quand bêtes et plantes relient les citoyens » ou quand « [les]
hommes, [les] animaux […] apprennent à vivre ensemble ».
S’il
nous faut vivre ensemble — humains, animaux et végétaux —, il nous faut
apprendre le partage limité de l’espace urbain. Cohabiter signifie alors
apprendre à gérer les conflits tout autant que les relations affectives,
développer et maîtriser les lieux de rencontres. Les citoyens doivent tout à la
fois s’approprier collectivement leur ville tout en y trouvant leur propre
espace individuel, et accepter la présence de l’autre dans la diversité humaine
et animale. Pour Vinciane Despret, il est possible de résumer notre histoire
récente en trois étapes : « On a d’abord considérablement exterminé,
ensuite on a dû apprendre à protéger, maintenant il s’agit de découvrir comment
cohabiter ». Il ne s’agit donc plus « seulement de protéger des
animaux mais de développer des initiatives qui expérimentent avec d’autres
vivants, d’autres manières d’habiter la ville et de la ré-humaniser […] [elles]
[mobilisent] des non humains d’une manière qui relie un peu mieux les
humains »[29]. Partant de cette analyse
de la ville en devenir, nous proposons, à partir de ces deux animaux commensaux
de l’homme — les chats et les pigeons — de mener des initiatives dont
les deux objectifs principaux sont la réduction des tensions liées au partage
des espaces entre les hommes et les animaux, d’une part, et le développement
des liens sociaux autour de la question de l’animal, afin de mobiliser les
énergies et créer des synergies autour d’actions thématiques, d’autre part.
La
relation entre les humains et les animaux et la protection de ces derniers sont
certes au fondement de cette démarche, mais celle-ci est gouvernée par un objectif
que l’on pourrait synthétiser de la façon suivante : « Le bien vivre
ensemble l’homme et l’animal et entre les hommes, chacun à sa place avec ses
différences ». La question de l’animal permet de montrer qu’au sein de la
cité, l’autre, cet inconnu, peut être une chance, un atout si l’on apprend à le
connaître et si on lui donne sa place. Comme le souligne Anne-Caroline Julliard,
« le travail sur le pigeon en ville est à la fois une problématique écologique
et sociale»[30].
V. Pour une gestion raisonnée, durable
et éthique
Le
pigeon, qui était à l’origine de discordes, devient de fait un objet de
médiation nécessitant de prendre en considération autant le point de vue des
défenseurs de ces animaux que les demandes des personnes victimes de nuisances.
C'est
pourquoi, nous proposons aux villes des conventions permettant d'organiser ce « vivre
ensemble » en développant tout à la fois des espaces dédiés aux animaux
(pigeonniers et mobilier urbain spécifique aux chats libres) mais aussi des
espaces partagés pour des rencontres entre les hommes et les animaux. Ces
conventions couvrent quatre champs d'activité :
1. Permettre un nourrissage raisonné
Vilipendés
par certains, les nourriciers ont besoin dans bien des cas d’aide et
d’assistance. Les nourriciers de chats, quant à eux, contribuent aujourd’hui à
organiser une présence sereine des chats sur la ville et jouent en cela un rôle
de mieux en mieux accepté. Par contre, les nourriciers de pigeons subissent
l'hostilité d'une partie des citadins et se
sentent de ce fait rejetés[31]. Il
nous semble donc indispensable de les connaître et de les amener à développer
un nourrissage raisonné et limité, plutôt que de continuer à les marginaliser
sans aucun résultat pour la collectivité.
2. Aménager des espaces dédiés aux animaux
Aujourd’hui,
un des facteurs de présence stable de ces animaux est le ou les nourriciers. Un
site de nourrissage disparaît à un endroit, un autre se constitue ailleurs.
Quelquefois, dans une même cité, deux nourriciers donnent à manger à un même
groupe de chats ou de pigeons sans se connaître. L’autre facteur de
sédentarisation des pigeons est l’habitat disponible. Nous proposons de
structurer les sites de vie des chats et des pigeons de façon progressive et
participative, en permettant de donner aux animaux une place pérenne et
acceptable par les riverains. Les chats libres qui vivent sur les sites doivent
être stérilisés et en bon état sanitaire ; ils doivent donc être
régulièrement suivis. Le pigeonnier, quant à lui, est un mobilier urbain qui
regroupe quelques dizaines de pigeons ; c’est
aussi un outil de communication auprès des habitants. Rien n’empêche
d’installer les pigeons dans des structures nécessitant moins de maintenance
(où les pigeons ne peuvent que se percher et non couver), ou d'aménager des
« pigeonniers naturels », c’est-à-dire des endroits où les pigeons ne
dérangent pas l’humain, de façon à obtenir une répartition spatiale plus
adaptée aux situations rencontrées.
3. Aborder la question de l’animal avec les enfants
Nous
proposons de fournir une mallette pédagogique aux centres de loisirs afin de
traiter des questions de citoyenneté à partir de l’animal : respect de
l’autre, celui qui n’est pas comme moi, connaissance de l’étrange ou
l’étranger. Nous contribuons ainsi à la connaissance des comportements de ces
animaux, tout en faisant participer les enfants à la construction de nouveaux
sites pour les chats ou les pigeons. Ces actions s’inscrivent dans le cadre
d’une participation des enfants à la vie de leur ville : une porte ouverte
sur la citoyenneté.
4. Communiquer autour des engagements de la municipalité
et des responsabilités individuelles des citoyens
La
mise en place de bonnes pratiques se réalise avec des échanges et une
réciprocité entre la mairie et les habitants : articles dans le journal
municipal et organisation de réunions publiques, notamment.
Cette
démarche innovante repose sur une opérationnalité respectueuse des animaux et
sur un travail de médiation sociale et citoyenne. La médiation sociale est
officiellement définie « comme un processus de création et de réparation
du lien social et de règlement des conflits de la vie quotidienne, dans lequel
un tiers impartial et indépendant tente, à travers l'organisation d'échanges
entre les personnes ou les institutions, de les aider à améliorer une relation
ou de régler un conflit qui les oppose »[32].
Le préalable à la médiation est donc de reconnaître qu'on a affaire à un
conflit de valeurs et non à des comportements « anormaux » qu'il
faudrait modifier ou interdire. Il n'y a pas « celui qui a tort » et « celui
qui a raison ». La médiation accueille le désordre. Comme tout médiateur,
notre rôle est alors celui d'un passeur, celui qui explique à l'autre et vice versa. Nous sommes là pour rétablir
les liens, pour faciliter la compréhension entre les différentes parties, pour
dissiper les malentendus. Notre objectif majeur est de créer du lien social, à
partir de l'animal, au service de la cohésion sociale. Ce faisant, nous donnons
un statut de fait à ces animaux, dans un espace qui leur est dédié, du mobilier
adapté, et des échanges suivis avec les riverains.
Nous
avons tenté, dans cet article, de montrer comment, dans nos villes en France et
en Europe, les pigeons et les chats peuvent servir de modèle pour modifier
notre comportement à l’égard de l’ensemble des animaux. Ailleurs, dans d'autres
pays, selon les territoires, ce sont d’autres espèces qui sont étiquetées
nuisibles. Les éléphants, les singes, les phoques, les requins, etc. qui sont
dits « nuisibles » aujourd’hui. Or, ce sont nos projets
d’urbanisation ou d’exploitation qui les rendent nuisibles et permettent ainsi
de les tuer, voire de les exterminer. Nous habitons un territoire certes
immense mais limité : la Terre. « Il
faut partager l’espace avec les autres espèces, aménager les habitats humains
pour qu’ils accueillent le plus grand nombre d’espèces, au bénéfice également
des sociétés locales. Les hommes font souvent une distinction entre espèces
commensales et sauvages. Mais avec six milliards d’individus, notre propre
espèce est omniprésente sur Terre : les habitats “naturels“ non modifiés par
l’homme sont très rares, voire n’existent plus.
L’écologie de la réconciliation permettrait au plus grand nombre possible
d’espèces de devenir commensales. Réconcilier les habitats de l’échelle locale
à l’échelle mondiale entravera l’extinction de masse en cours, mais aussi
favorisera des systèmes économiques durables »[33].
Le
pigeon et le chat sont, parmi les animaux libres et visibles, les deux espèces
que nous côtoyons le plus dans nos villes françaises et européennes. Pour nous,
ces animaux peuvent servir « à approfondir la conscience écologique en
milieu urbain en devenant le symbole de la reconnexion des citadins avec la
nature »[34]. A la place de toute
classification par trop réductrice, nous proposons un statut de fait des
animaux commensaux de l’homme. Ce nouveau statut est non seulement possible si
la volonté politique veut bien s’y employer, mais il est aussi indispensable
pour permettre la construction de ce « mieux vivre ensemble » dans la
cité moderne en construction. Choisir cette démarche innovante permet de ne plus
regarder le pigeon ou le chat à travers le prisme des nuisances, mais de les
considérer comme faisant partie intégrante de notre milieu urbain.
[1] Nathalie Blanc, L’animal
dans la ville, Paris, Odile Jacob, 2000.
[2] E. Givois, « Les pigeons dans Le Figaro de 1861 à 1942 », « Histoire et médias », mémoire Master, 2009.
[3] C. Baud, « Chiens et pigeons en milieu
urbain : population, pollution, solutions », Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort , doctorat vétérinaire n° 79,
1995.
[4] P. Lépine, « Sur L’infection des pigeons
parisiens par le virus de l’ornithose », avec V. Sauter, Bulletin de l’académie de médecine,
1951.
[5] Le Parisien,
12 décembre 1964.
[6] Article L211-27 du code rural :
« Le maire peut, par arrêté, à son initiative ou à la demande d'une
association de protection des animaux, faire procéder à la capture de chats non
identifiés, sans propriétaire ou sans détenteur, vivant en groupe dans des
lieux publics de la commune, afin de faire procéder à leur stérilisation et à
leur identification conformément à l'article
L. 212-10, préalablement à leur relâcher dans ces mêmes lieux. Cette
identification doit être réalisée au nom de la commune ou de ladite
association.
La gestion, le suivi sanitaire et les conditions de la garde au sens de l'article
L. 211-11 de ces populations sont placés sous la responsabilité du
représentant de la commune et de l'association de protection des animaux
mentionnée à l'alinéa précédent.
Ces dispositions ne sont applicables que dans les départements indemnes
de rage. Toutefois, sans préjudice des articles
L. 223-9 à L. 223-16, dans les départements déclarés officiellement
infectés de rage, des dérogations peuvent être accordées aux communes qui le
demandent, par arrêté préfectoral, après avis favorable du Centre national
d'études vétérinaires et alimentaires selon des critères scientifiques visant à
évaluer le risque rabique. »
[7] www.legifrance.gouv.fr consulté le 09 août 2012.
[8] http://www.agglo-plainecentrale94.fr/_data/107/art120.pdf,
consulté le 09 août 2012.
[9] les auteurs de l'article ont mis en italique les rajouts effectués par
les responsables de l'agglomération montrant ainsi comment chaque collectivité
à partir d'un tronc commun peut inscrire son action dans une démarche plus ou
moins virulente vis-à-vis des animaux concernés.
[10] http://www.poitiers.fr/c__82_227__Animaux_nuisibles.html,
consulté le 09 août 2012.
[11] Notre article n’a pas pour objet de débattre sur le
bien fondé des destructions de rats, de cafards ou de termites mais de fournir
des éléments de réflexion sur l’aspect subjectif du caractère de nuisible.
Ainsi historiquement, le rat représente dans notre inconscient collectif la
peste. Les campagnes de dératisation, quelle qu’en soit l’utilité réelle ou
supposée, demeurent une obligation pour les maires et les bailleurs. De même,
la prolifération de cafards et autres blattes ou puces, pose des problèmes réels
de salubrité publique. Par ailleurs, la prolifération des termites génère des
dégâts considérables sur les charpentes de bâtiments.
[12] Question de madame Bérengère Poletti (Union pour un Mouvement Populaire -
Ardennes) à monsieur Serge Lepeltier publiée au JO du 22 mars 2005,
p. 2872
[13] Question du
sénateur Jean-Paul Delevoye, N° 07638 publié au JO du Sénat du 16 avril 1998
p. 1189 et réponse du ministère de l’Agriculture publié au JO du Sénat
du 09 décembre 1999, p. 4046.
[14] Cette liste
comprend à ce jour 18 mammifères et 6 espèces d’oiseaux : corbeau freux,
corneille noire, étourneau sansonnet, geai des chênes.
[15] Daniel Haag-Wackernagel : Le pigeon. De l’oiseau sacré de la déesse de l’amour au pigeon des
villes, édition Schwabe, Bâle, 1998 (en allemand).L’ouvrage donne un aperçu
de l’histoire des relations entre les humains et les pigeons dans l’histoire
des civilisations.
Richard F. Johnston &
Marian Janiga: Feral Pigeons, Oxford University Press, Oxford 1995. L’ouvrage est une compilation des résultats
scientifiques qui ont été obtenus au sujet des pigeons des villes.
[16] Source : http://www.protection-animaux.com/publications/animauxsauvages/infothek/texte/mb_tauben.,
le 26 août 2012
[17] Ce groupe est composé de chercheurs provenant de différentes disciplines
:
Plusieurs laboratoires
du Muséum national d'histoire naturelle (Conservation des espèces, restauration
et suivi des populations ; Eco-anthropologie et ethnobiologie ;
Archéo-zoologie et archéo-botanique),
Laboratoire d'écologie
et évolution/CNRS, Université Pierre et Marie Curie Paris;
Laboratoire d'écologie
systématique évolution/ Université Paris-Sud
Laboratoire d'éthologie
et cognition comparée/ Université Paris Ouest Nanterre la Défense;
Anthropologie sociales
et culturelles institut des sciences humaines et sociales/Université de Liège
[18] Programme national (ANR « Villes durables ») en codirection
Philippe Clergeau N. Blanc
(LADYSS) : Evaluation et référentiel sur les Trames Vertes Urbaines http://www.trameverteurbaine.com
[19] « L'animal en ville : nuisible,
indésirable ou invasif », dossier d'économie urbaine, travail collectif de
l’Ecole des ingénieurs de la ville, Paris,
2010.
[20] Depuis 2003, date de création de notre association
AERHO, nous effectuons environ trois études par an dans différentes villes.
Au total, notre expérience s'étend sur
près d'une trentaine de villes dont 90 % sont situées en Ile-de-France. Nos
études visent à identifier les sites de regroupement de pigeons et à évaluer le
nombre d'oiseaux, d’une part, et à recueillir des données sur les sentiments
des citadins à l’égard des animaux afin d'évaluer les possibles tensions,
d’autre part. A partir de ce travail, nous préconisons différents modes de
régulation éthique aux responsables des collectivités territoriales. Source le
site Internet de AERHO à la page Références.
[21] Dans toutes les villes étudiées, nous avons
communication des plaintes et autres signalements écrits des habitants
concernant les nuisances occasionnées par la présence de pigeons. En moyenne,
et ce quel que soit le nombre de pigeons sur la ville, les signalements
rapportés au nombre d'habitants sont de l'ordre de un signalement de nuisances
pour 5000 habitants.
[22] J. Gasparini, « Le pigeon en ville », Laboratoires
Ecologie et Evolution, Université Pierre et Marie Curie, Paris, Guide Natureparif, 2011.
[23] Nous employons le terme « nourricier » et
non « nourrisseur ». En effet, la définition du nourrisseur est plus
liée à « celui qui engraisse des animaux au niveau de l'élevage » alors que le
nourricier est celui qui « élève un enfant qui n'est pas le sien ».
[24] D. Boubaker, Recteur de l’Institut Musulman de la
Mosquée de Paris, « Les Animaux » : « L’Histoire de la vie
(Sîra) du Prophète de l’Islam rapporte, un épisode particulièrement cher aux
musulmans. Il est dit que lors de son émigration vers Médine, celui-ci dut avec
Abû Bakr, trouver refuge dans une grotte. Ses poursuivants polythéistes
voulurent y pénétrer, mais découvrant une toile qu’une araignée (Ankabût)
venait de tisser et un nid que des pigeons venaient de construire, ils
repartirent. Ce stratagème induisit les ennemis du Prophète dans l’erreur et
préserva sa vie et celle de son compagnon ». Source site internet http://www.mosquee-de-paris.net/Conf/Theologie/II0303.pdf
[25] Pour Paul Louis Colon étudiant en Anthropologie
sociales et culturelles à l’Université de Liège : « le nourrissage est un
acte politique dans le sens où il constitue la revendication en acte d'une
autre forme de relation à l'animal en ville, que celles qui sont admises ou
proposées par les autorités locales,
Guide Natureparif, 2011.
[26] V. Manceron et M. Roué, « Les animaux de la
discorde », Ethnologie française, 2009/1 Vol. 39, p. 5-10. DOI :
10.3917/ethn.091.0005.
[27] « Enquête sur les nuisances causées par la
présence de corbeaux, corneilles et autres oiseaux dans les grandes
villes », Association des maires des
grandes villes de France, n° 200, 4 avril 2004.
[28] « Le pigeon en ville », colloque organisé
par le groupe de recherches interdisciplinaires et interprofessionnelles sous
la responsabilité d’A-C. Julliard, Muséum national d'Histoire naturelle de
Paris – Guide Natureparif, 2011.
[29] V. Despret « Echanges sur le vivant en ville »,
Symposium du Grand Lyon, 2009.
[30] A-C. Julliard, « Le pigeon en ville », Guide Natureparif, 2011.
[31] Pour Paul Louis Colon (Anthropologie sociales et culturelles institut
des sciences humaines et sociales/Université de Liège) « Ce rejet peut-être vécu comme analogue à celui
qui concerne les pigeons et renforcer ainsi leurs relations avec cet oiseau », Guide Natureparif, 2011.
[32] Définition européenne établie en 2000, par 43 experts
de 12 pays européens.
[33] M. L. Rosenzweig, « Il faut partager l’espace
avec les autres espèces », professeur d’écologie et de biologie évolutive
à l’université d’Arizona, le Monde,
le 14 février 2004.
[34] Z. Skandrani, « Le
pigeon en ville », CERSP, Muséum national d'Histoire naturelle, Guide Natureparif, 2011.
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