Les relations hommes-pigeons
dans l’Histoire*
Communication donnée lors de dans le cadre de la Rencontre de
Natureparif consacrée au « Pigeon et la ville ».
ÉVOLUTION
DES RELATIONS DE L’HOMME AUX PIGEONS
DU
XVIIIe SIÈCLE À NOS JOURS
Aujourd’hui,
le pigeon est un objet de tensions et de discorde au sein de la ville. Porteur
de maladies, destructeur de bâtiments avec sa fiente, il représente aux yeux de
nombreux citoyens, la salissure. Il est même dénommé « le rat volant ». Pour
d’autres, il est l’objet d’attention et de compassion. Selon les époques et les
régions, cette image a évolué au cours du temps.
Ainsi
en France, dans l’ancien régime, le pigeon était rangé du côté de l’ordre ; il
est un « esclave libre » pour Buffon : il est enfermé, domestiqué et appartient
aux nobles.
Avec
la Révolution française et l’abolition des privilèges, le pigeon est récupéré
par le nouvel ordre social. Il faudra attendre les années 1830 pour que les
premières études scientifiques montrent qu’il ne consomme pas les semences et
peut même jouer un rôle dans l’élimination des graines de plantes concurrentes
du blé.
TROIS
PÉRIODES SE SUCCÈDENT ENSUITE
De
la fin du XVIIIe siècle à la Première Guerre mondiale
On
assiste dans un premier temps à l’encouragement des agriculteurs à augmenter le
nombre de leurs pigeons par la création d’élevages de pigeons de chair comme
salaire de complément. Geoffroy Saint-Hilaire publiera ainsi en 1849 un texte
montrant l’intérêt alimentaire de l’espèce, dix ans avant de participer aux
grandes campagnes de lutte contre l’hippophagie
Dans
les années 1870, les autorités favoriseront le pigeon ; l’État soutient la
création de la fédération de colombophilie. Les pigeonniers privés auxiliaires
des élevages militaires se développent ainsi, avec l’aide et le contrôle des
militaires. Autour de Paris, une quinzaine de forts comptent chacun un
pigeonnier abritant plusieurs centaines de pigeons. Certains pigeons porteurs
de messages se perdent. C’est notamment le cas des pigeons utilisés par
l’armée, qui a pris l’habitude d’envoyer quatre pigeons pour les courses de
plus de 250 km lorsqu’elle veut être certaine que le message arrive.
De
1920 à 1950
Jusqu’aux
années 1920, les quelques voix dissonantes qui dénoncent les salissures des
pigeons subissent critiques et sarcasmes. Le pigeon est alors un acteur du
progrès social et un auxiliaire utile en tous points aux hommes.
Lâcher
de pigeons à l'Arc de triomphe à la gloire de la patrie
Paris,
23 mai 1937
Or
le développement des élevages de pigeons et de la colombophilie génère une
errance animale car certains pigeons se perdent. Les lâchers de pigeons, dans
l’entre-deux-guerres, comptent par exemple souvent des milliers d’individus. En
plus d’un siècle, le « pigeon errant » s’est installé progressivement en ville.
Animal considéré comme un hybride, il perd progressivement son statut d’animal
utile.
Un
discours ambivalent se construit autour des pigeons errants : attitude
compassionnelle envers ces oiseaux, et valorisation préférentielle des pigeons
d’élevage pour leur chair ou pour la colombophilie. Les pigeons errants
deviennent alors objets de tensions et de polémiques entre les partisans et les
adversaires de l’oiseau, dont témoignent un certain nombre d’articles publiés
par exemple dans Le Figaro au cours des années 1930.
Mais
personne à l’époque n’ose prendre de mesures contre les pigeons. Il n’est pas
encore possible d’éradiquer cet auxiliaire de l’homme aux motifs qu’il salirait
les monuments ou prendrait la nourriture des autres oiseaux.
Le nourrissage : un acte
autorisé
Des
années 1950 aux années 1990
Le
pigeon urbain fait à partir des années 1950
l’objet d’une construction lente et progressive d’un discours permettant
de faire accepter l’éradication des individus « errants ». Pour permettre aux
autorités de mener une véritable « guerre » à son encontre, cet animal doit
changer de statut social : étant au départ un animal utile, il doit devenir
nuisible.
La
thématique du pigeon porteur de maladies se développe alors. Le professeur
Lépine publie ainsi en 1951 un article dans lequel il affirme que 70 % des
pigeons parisiens sont atteints par l’ornithose, bien que la transmission à
l’homme en soit extrêmement limitée. À partir de 1955, les autorités
préfectorales relayent ce discours et déclarent que les oiseaux sont trop
nombreux. Une commission spécialisée,
mise en place par la préfecture, met alors en oeuvre ce qui sera appelé la
stratégie de « dépaysement des pigeons » : il s’agit officiellement de capturer
des pigeons, de les mettre en volière et d’envoyer les pigeons sains par train
dans d’autres villes demandeuses – les oiseaux malades étant, eux, euthanasiés.
Cette méthode sera utilisée et revendiquée jusqu’ au milieu des années 60 avec
l’accord des associations de protection animale.
Interdire
le nourrissage ?
Nov
1964
Peu
à peu cependant, le doute s’installe dans ces associations quant à la
destination véritable des oiseaux. Parallèlement, sont organisées dans la
presse des campagnes annonçant des nombres de plus en plus importants de
pigeons à Paris : de 400 000 à 1 million d’individus. En plus des prélèvements
directs, les autorités interdisent par décret le nourrissage sur la voie
publique à partir de 1962, ce qui provoque l’opposition de la SPA.
Il
est impossible de comprendre l’impasse actuelle dans la gestion des populations
de pigeons sans ce regard historique. En effet, celui-ci explique sans doute
les tensions entre défenseurs et adversaires des pigeons.
Néanmoins
ces tensions connaissent une évolution, à partir des années 1990, avec
l’installation des premiers pigeonniers urbains, qui recréent un lien entre les
protecteurs des animaux et les autorités et le bilan d’années d’éradication
sans grande efficacité.
Auteur : Didier Lapostre
* Elus,
agents de collectivités, associations, entreprises, citoyens étaient réunis
mardi 8 novembre 2011 dans le cadre de la Rencontre de Natureparif consacrée au
« Pigeon et la ville ».
L’objectif
de la journée était d’apporter des éléments de compréhension, sur la base de
résultats d’études scientifiques menées depuis 3 ans par un groupe de recherche
interdisciplinaire et interprofessionnel, afin de participer à la médiation et
à concilier autant que possible l’ensemble de ces facteurs. Echanges et débats,
caractérisés par une grande qualité d’écoute réciproque, ont permis aux
participants d’aborder la totalité du sujet au travers des communications
scientifiques comme des témoignages de terrains.
Intervenants :
Zina SKANDRANI,
doctorante au Muséum national d’Histoire naturelle – « Symbolique autour du
pigeon »
Didier LAPOSTRE,
doctorant à l’Université Paris 8 – « Histoire des relations hommes-pigeons »
Dalila BOVET,
chercheure en éthologie – « Les pigeons par rapport aux personnes qui les
nourrissent »
Bernadette LIZET et Jacqueline MILLET,
chercheures en ethnologie – « Histoire de la mise en place des pigeonniers en
Ile-de-France »
Anne-Caroline PREVOT-JULLIARD,
chercheure en biologie de la conservation, Muséum national d’Histoire naturelle
- « Ecologie et gestion du pigeon »
Julien GASPARINI,
enseignant-chercheur en parasitologie et écologie, Université Pierre et Marie
Curie - « Les pigeons et leurs maladies »
Cette
Rencontre était organisée en partenariat avec le groupe de recherche « le
Pigeon en ville : Ecologie de la réconciliation et Gestion de la nature ».
Télécharger
le guide
pigeons.mnhn.fr/IMG/pdf/Guide-Pigeons-Natureparif-web.pdf
(Extrait de la présentation réalisée par Natureparif)
Références
:
GIGOT. La science colombophile. Bruxelles, 1889
BOIS M. Le nouvel art
d’élever et de multiplier les pigeons, 1847
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